Du 24 avril au 22 juin, les Galeries Lafayette célèbrent Les "Gourmandises" ! Pour l'occasion, nous avons souhaité découvrir l'univers de la gourmandise à travers le regard de deux chefs d'exception, partenaires des Galeries Lafayette Le Gourmet : Pierre Hermé et Pierre Sang. Découvrez leurs visions croisées de la gourmandise, entre élégance et innovation créativité, à travers une interview exclusive.
Quelle est votre définition de la gourmandise ?
Pierre Hermé :
"La gourmandise est une source inépuisable de bonheur. Goûter un dessert, savourer une pâtisserie aux textures parfaites ou redécouvrir une saveur d’enfance, c’est s’offrir un instant de douceur et de légèreté dans le tumulte du quotidien ! La gourmandise ne se limite pas à une simple envie de sucré ou de salé, c’est un art de vivre. Elle est aussi un langage universel qui rapproche les gens, un prétexte à l’échange et au partage. Ainsi, la gourmandise ne se résume pas à une tentation fugace, elle est un véritable moteur d’émotions et de joie, une source inépuisable de petits bonheurs qui rendent la vie plus savoureuse. "
Pierre Sang :
"La gourmandise, c’est l’émotion qui lie les souvenirs aux saveurs. C’est ce frisson que l’on ressent à la première bouchée d’un plat réconfortant, cette irrésistible envie de partager un produit d’exception. Plus qu’un simple plaisir, c’est un langage universel qui traverse les cultures. En France, elle s’incarne dans la générosité d’un beurre de baratte, la puissance d’un Bleu d’Auvergne, la noblesse d’un bœuf du Fin Gras du Mézenc. En Corée, elle se niche dans la profondeur d’un bouillon longuement infusé, dans le caractère d’un gochujang fermenté à la perfection. Entre ces deux mondes, la gourmandise devient un pont, une passerelle entre des terroirs qui, bien que lointains, se répondent avec une évidence presque instinctive. "
Comment l’histoire de votre adoption et votre double culture culinaire influencent-elles votre perception de la gourmandise et se traduisent-elles dans votre cuisine ?
"Être né en Corée et avoir grandi en France, c’est avoir deux cuisines gravées dans la mémoire, deux patrimoines gastronomiques qui, loin de s’opposer, se complètent et se nourrissent. Chaque plat raconte une histoire, chaque saveur est un écho d’un lieu, d’un moment. La gourmandise, dans ce contexte, devient un terrain d’exploration infini : entre la finesse d’un bœuf du Fin Gras du Mézenc maturé avec soin et la profondeur umami d’un miso de soja vieilli, entre la douceur d’un beurre de baratte légèrement salé et la puissance d’un kimchi fermenté plusieurs mois. La gourmandise naît de cette rencontre, entre transmission et instinct, entre le respect du terroir et l’audace de l’association. "
Quel est votre premier souvenir gourmand ?
Pierre Hermé :
"À 5 ans, je vivais au-dessus de la boulangerie-pâtisserie de mes parents fondée par ma famille, en 1870, à Colmar, en Alsace. Mon père travaillait beaucoup et dès mon plus jeune âge, je restais des heures à l'observer dans son atelier. J'humais les odeurs de cuisson des Kougelhopfs, adorais le bruit des casseroles et cul de poule, admirais, un peu étonné, la précision et l'effervescence qui régnait dans cet univers. Sans aucun doute, c'est mon père qui m'a donné envie de faire ce métier."
Pierre Sang :
"Un bol de bibimbap en Corée. Mais ce n’était pas juste un plat, c’était un rituel : la chaleur du bol en pierre, le riz qui grille légèrement, le mélange des couleurs et des textures… Un plat qui raconte un pays. Puis, en France, le choc du premier vrai pain tartiné d’un beurre de baratte bien crémeux. La simplicité d’une mie aérée, la richesse de ce beurre travaillé avec patience. Deux souvenirs qui n’ont, en apparence, rien à voir, et pourtant… ils reposent sur la même base : la puissance du goût et la magie du partage. "
Ce souvenir d’enfance a-t-il été un élément déclencheur dans votre passion pour la cuisine et votre choix de fusionner les saveurs françaises et coréennes ?
"Oui, sans aucun doute. Grandir entre deux cultures, c’est apprendre très tôt que la cuisine est bien plus qu’une question de goût : c’est une identité, une transmission, un héritage. Cette double appartenance a ouvert une porte vers une cuisine qui ne se limite pas aux frontières, mais qui tisse des liens entre les terroirs. Un Bleu d’Auvergne affiné lentement et un doenjang (pâte de soja coréenne) vieilli de la même manière ont bien plus en commun qu’il n’y paraît. La gourmandise, c’est aussi ce jeu entre mémoire et découverte. "
La gourmandise pour vous, plutôt salée ou plutôt sucrée ?
Pierre Sang :
"Instinctivement, salée. Mais avec cette touche sucrée subtile qui apporte de la rondeur, du relief. Comme un caramel de soja noir sur un poisson parfaitement grillé, ou une pointe de miel de Cistre dans une sauce au Lentilles verte du Velay."
Pierre Hermé :
"Je dis souvent : “Le salé pour se nourrir, le sucré pour le plaisir !” Pourtant, ces deux univers ne sont pas opposés, bien au contraire : ils se rencontrent, se mêlent et s’enrichissent mutuellement, donnant naissance à des saveurs inédites et des expériences surprenantes. C’est précisément cette harmonie que nous célébrons au sein de notre Café Pierre Hermé Paris de Beaupassage (Paris 7), où la frontière entre le salé et le sucré s’efface pour laisser place à une cuisine subtile et créative. J’y interprète des classiques comme le Pain Perdu en version salée, jouant sur les contrastes de textures et de goûts pour éveiller les sens. Ici, la pâtisserie ne se limite pas au dessert, elle dialogue avec la cuisine et s’y intègre avec subtilité. "
Quel gourmand êtes-vous ?
Pierre Hermé :
"Je suis un gourmand curieux ! Dans les métiers artisanaux qui reposent sur un savoir-faire spécifique, il est essentiel d'en maîtriser les fondements : son histoire, sa culture et la technique. Pour nourrir sa créativité, il est indispensable de cultiver sa curiosité, d'acquérir une connaissance approfondie des ingrédients et de savoir se remettre en question. Ce n'est qu'à ce stade que l'imagination peut s'épanouir pleinement."
Pierre Sang :
"Un épicurien explorateur. La gourmandise, c’est une curiosité permanente, un appétit d’expériences nouvelles. C’est comprendre pourquoi un simple beurre de baratte peut être bouleversant, pourquoi une fermentation bien menée transforme un aliment en une révélation gustative. "
En quoi la gourmandise est-elle importante dans votre métier ?
Pierre Sang :
"Parce qu’elle est la raison pour laquelle on se souvient d’un plat. On oublie la technique, mais on garde en mémoire l’émotion d’une bouchée parfaite. "
Pierre Hermé :
"La gourmandise est une quête du plaisir, une capacité à désirer à la fois le beau et le bon. Elle commence bien avant la première bouchée, par un émerveillement visuel qui éveille les sens et suscite l’envie. Un gâteau ne se déguste pas seulement avec le palais, il se contemple, il s’admire. C’est ce subtil équilibre entre visuel et saveur qui fait la signature d’une création réussie. "
Selon vous la Gourmandise est-elle toujours un péché capital ?
Pierre Hermé :
"Absolument pas ! Il y a quelques années, je me suis associé au pâtissier-chocolatier de la maison Valrhona Frédéric Bau, avec lequel nous avons travaillé la « gourmandise raisonnée », qui consiste à réduire en sucre, en gras et en calories certains produits clairement identifiés, associés à une réflexion sur l’apport nutritionnel des desserts. Le résultat ? Une réduction calorique d’environ 30% par rapport à la pâtisserie classique sans altération de goût. Mon intérêt pour ce sujet a débuté lorsque Frédéric, après avoir obtenu mon accord pour revisiter l'Infiniment Vanille, m'a proposé une dégustation à l'aveugle de sa version. J’ai été stupéfait de constater à quel point elle était proche de l'originale.» Un déclic. Tous ces nouveaux territoires, la remise en cause des idées et des pratiques, me passionnent. Ils me font avancer et intéressent également beaucoup les jeunes chefs. La gourmandise raisonnée est un axe de travail passionnant. J'ai réévalué mon approche concernant le sucre : le réduire n’induit pas forcément un gâteau light mais peut à l’inverse augmenter l’apport en gras. En ayant en tête cette équation, on a par exemple misé sur le sucre naturel des fruits ou encore réalisé une crème chantilly au chocolat avec uniquement du lait demi-écrémé. Cette démarche n’enlève pas le plaisir, bien au contraire et risque d’avoir une influence sur le futur de nos pâtisseries. "
Pierre Sang :
"Si c’est un péché, alors il est essentiel à l’équilibre du monde."
Comment la gourmandise se manifeste-t-elle dans votre cuisine/pâtisserie ?
Pierre Sang :
"Par le contraste. Un grand plat gourmand, c’est un équilibre parfait entre textures et saveurs : un fondant rehaussé par un croustillant, une douceur réveillée par une pointe d’acidité."
Pierre Hermé :
"La gourmandise est omniprésente dans la Maison Pierre Hermé Paris, il est donc très difficile d’en choisir l’exemple ultime, comme vous pouvez vous en douter. Néanmoins, je pense à l’une de nos pâtisseries Fetish, le 2000 Feuilles, qui porte intimement en lui toutes les facettes de la gourmandise en termes de saveurs et de textures. Il se compose d’une pâte feuilletée caramélisée, d’un praliné feuilleté aux noisettes et d’une crème mousseline au praliné noisette. Le 2000 Feuilles se joue harmonieusement des textures, le moelleux de la crème mousseline au praliné, le croustillant de la pâte feuilletée caramélisée et du praliné, dont les fines brisures de crêpes dentelles bretonnes lui donnent son exceptionnel feuilleté. "
La gourmandise est-elle compatible avec une cuisine saine et équilibrée ?
Pierre Hermé :
"Comme mentionné précédemment, la gourmandise, quand elle est ”raisonnée”, est tout à fait compatible avec une alimentation saine et équilibrée. Néanmoins, je suis un pâtissier et non un nutritionniste !"
Pierre Sang :
"Bien sûr. La vraie gourmandise n’est pas synonyme d’excès, mais de qualité."
Comment pensez-vous que la gourmandise a évolué dans le temps ?
Pierre Hermé :
"Je n’aime pas beaucoup l’idée de la tendance. Néanmoins, nous pouvons constater une évolution du goût et des attentes des gourmands. Aujourd’hui, certains veulent des produits sans gluten ou végan. C'est une gageure pour moi qui ai appris à travailler avec des œufs, du beurre, de la crème, du lait. La pâtisserie sans gluten, m'est en revanche familière puisque la plupart de nos macarons n'en contiennent pas. La pâtisserie végétale est néanmoins une formidable opportunité créative. C’est absolument passionnant et aujourd’hui nous proposons systématiquement une pâtisserie végétale ou une pâtisserie en gourmandise raisonnée dans nos boutiques."
Quelle est la pâtisserie ou le plat le plus gourmand que vous ayez jamais réalisé ?
Pierre Sang :
"Un dessert inspiré du hotteok coréen : une crêpe fourrée au miel, aux noix et à la cannelle, servie avec une glace au lait ribot et un caramel miso. C’est tout ce que doit être la gourmandise : simple en apparence, mais d’une profondeur infinie. "
Pierre Hermé :
"Si vous m’offrez la possibilité d’en évoquer une autre, je pourrais vous parler d’Ispahan qui entremêle le parfum suave et floral des roses, la douceur délicate du letchi et la vivacité acidulée de la framboise. J’ai découvert le goût de la rose en 1985, lors d’un voyage en Bulgarie. À l’époque, cet ingrédient était totalement absent de la pâtisserie française. Fasciné par son parfum délicat, je n’ai alors cessé de l’apprivoiser, cherchant inlassablement les saveurs avec lesquelles l’associer. Une intuition m’a guidé vers la framboise, dont la brutalité fruitée contraste magnifiquement avec la douceur subtile de la rose. De cette idée est né le gâteau Paradis, que j’ai créé chez Fauchon en 1987. Son succès a d’abord été mitigé, mais je n’ai jamais cessé de croire en cet accord audacieux. Quelques années plus tard, une dégustation de vin alsacien m’a révélé que le letchi partageait des notes aromatiques avec la rose. J’ai alors retravaillé ma création en lui apportant davantage de texture et en intégrant ce nouveau fruit. C’est ainsi qu’est né l’Ispahan, une pâtisserie emblématique où la rose, la framboise et le letchi s’entrelacent dans un équilibre parfait. Aujourd’hui, l’Ispahan est le gâteau le plus prisé de la Maison Pierre Hermé Paris."